l’imagerie scientifique,
une illustration du réel à interpréter.

15 janvier 2022
Posted in Biologie
15 janvier 2022 Louise Sudour

Dans le monde scientifique, la photographie est souvent considérée comme une visualisation formelle de la réalité. Elle est ainsi opposée à l’illustration scientifique qui, elle, ne serait qu’une « vue d’artiste ». Mais, la photographie ou imagerie scientifique offre-t-elle vraiment une vision exacte du réel ? Ne doit-on pas interpréter une photographie ou imagerie scientifique au même titre qu’une illustration ?

La photographie promeut le fantasme d’un rapport direct au réel. Mais dans le domaine scientifique, les échelles d’études sont immenses et s’étalent de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Dans ces proportions, il est parfois difficile, voire impossible d’avoir des représentations photographiques qualitatives de la réalité. Les images sont souvent obtenues de façon indirecte par différentes techniques révélatrices du réel invisible. Il s’agit alors d’images ou de données brutes à retravailler et à interpréter avant d’être utilisées comme références visuelles.

Débruitage, isolation, coloration, suppression des artéfacts, ajout de contraste/luminosité, détourage, sont autant de techniques de révélation qui, à la fois étayent la lecture de la donnée brute, mais qui, en contrepartie, nous éloignent de la réalité visuelle du sujet. L’impression de réalité produite par l’image photographique nous fait oublier toutes les déformations qu’elle a subies. Et il s’agit là d’une première traduction graphique du réel.

En biologie végétale, les photographies issues de l’observation microscopique des tissus vasculaires végétaux, dessinent de magnifiques motifs aux couleurs vives. Les colorations roses et vertes des phloèmes et xylèmes de la feuille sont en réalité des colorations synthétiques. Elles sont réalisées au préalable de l’observation, pour justement différencier ces deux tissus conducteurs. Alors non, les feuilles de plantes à l’échelle microscopique ne sont pas aussi colorées qu’une toile d’Andy Warhol. De la même façon que le monde micrométrique n’est pas tout en noir et blanc, comme le révèlent les images de microscopies électroniques. Ces exemples peuvent paraitre logiques mais encore faut-il arriver à s’imaginer ce monde réel caché, avec toute sa colorimétrie, sa texture, sa matérialité graphique. Bien que les techniques de visualisation soient de plus en plus performantes, comment voir l’invisible sans se l’imaginer un minimum ?

Photographie d’une coupe colorée des tissus végétaux d'une tige de dicotylédone primaire observée au microscope. X 10

Photographie d’une coupe colorée des tissus végétaux d’une tige de dicotylédone primaire observée au microscope. X 10

« La photographie est une sorte d’illusion de la réalité, même si c’est peut-être la représentation la plus fidèle. »

Vanessa Winship, photographe

Cliché 51, par Rosalind Franklin. Revue Nature, The double helix and the ‘wronged heroine’.

 

 

Comme l’illustration, la photographie scientifique et médicale présente un angle de vue, une perspective qui peut être subjective par nature. Ce point de vue est lié à une position dans l’espace et à un temps donné, moment de la prise de vue. L’une des imageries qui illustre bien cette idée est celle baptisée Cliché 51 de la chimiste Rosalind Franklin, prise en 1952. Cette photographie de l’ADN aux rayons X est la toute première preuve que notre matériel génétique est en forme de double brin hélicoïdal. Pourtant, sans interprétation scientifique, l’image en noir et blanc ne ressemble qu’a une répétition régulière de points positionnés en forme de croix. C’est une projection du réel sous forme d’image 2D qu’il a fallu interpréter dans une vision en trois dimensions.
Tel un radiologue qui interprète le type de fracture visible sur une radiographie, toute image scientifique, ne peut être séparée de son interprétation scientifique.
Parce qu’une photographie n’est qu’une illustration du réel, notre seul devoir est de recontextualiser l’image à sa source, tout en appréciant sa portée et ce qu’elle nous révèle par son point de vue. La photographie et l’illustration sont deux outils qui peuvent se compléter et s’entremêler dans l’optique d’offrir des visuels les plus proches de la réalité, pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.

3D ou photographie ?

Difficile à discerner… mais cette image a entièrement été réalisée en 3D par l’équipe Com par l’image. Ce visuel représentant une bactérie, démontre qu’il est aujourd’hui possible de réaliser des images type « imagerie microscopique » uniquement sur des logiciels 3D. Mais attention ! Le traitement d’une illustration 3D dans un style « réaliste » ne justifie pas la véracité scientifique de ce qu’elle représente. A l’heure du photomontage et de la fake news, l’illustration scientifique doit elle aussi passer par une vérification et une approbation scientifique. Chose qui nous importe beaucoup. Notons aussi qu’une image quelle qu’elle soit ne peut pas tout montrer à la fois : informative, symbolique ou réaliste, il faut faire des choix !